900 ans d’histoire
Sur un promontoire situé sur une grande boucle de la Loire, c’est un lieu privilégié d’observation.
Béard, « fille de l’eau et de la terre », trouve ses lointaines origines dans un cadre naturel privilégié. Le bourg et l’église se sont établis et développés sur un plateau rocheux dominant la Loire d’une cinquantaine de mètres.
L’origine du nom « Béard » n’est pas établie avec certitude. Il n’existe aucune autre commune portant ce nom en France ! Une hypothèse serait que ce domaine fut accordé à Beardus, un vétéran de la fameuse 5ème Légion de l’Alouette, créée par César pendant la Guerre des Gaules et la première légion à ne recruter que des Gaulois. Directement rétribués par le Sénat, ses combattants purent accéder au statut de citoyens romains et recevoir des terres en récompense de leurs bons et loyaux services.
Des bifaces de petite taille, plusieurs grattoirs, des pointes de flèches ont été découverts près de l’église. Ils permettent de certifier d’une occupation humaine de ce lieu dès le Néolithique final, soit environ 2500 ans avant J-C. Établi dans une grande boucle de la Loire, sa situation de promontoire surplombant le fleuve et la présence d’une source pérenne, dite « Fontaine Bonne-Dame » devaient en faire un lieu privilégié d’observation pour la pêche et la chasse.
C’était également un lieu de refuge idéal. D’étranges gros blocs de pierre sont encore visibles dans le jardin situé au bord de la falaise au sud de l’église. Ils semblent avoir été utilisés comme murs de protection d’un campement, comme un rempart contre des agresseurs qui auraient pu venir de la Loire. La platitude anormale du sol de cet espace, son orientation plein Sud et quelques autres signes ont permis à un archéologue d’avancer l’hypothèse qu’il y eut, peut-être là, un temple Gallo-romain. Un petit sanglier en bronze a été trouvé sur la commune.
A l’époque gallo-romaine, Béard, en pays éduen, était une halte sur la voie romaine qui reliait Avaricum (Bourges) à Lugdunum (Lyon) via Nevirnum (Nevers) ou venant d’Augustodunum (Autun). Decetia (Decize) était ainsi située à un carrefour de deux voies stratégiquement et économiquement très importantes. César y a passé un hiver avant de partir à la conquête de Bibracte. Comme il est allé plusieurs fois de Decize à Nevers, il est donc passé à ce qui deviendra Béard.
Divers objets de l’époque gallo-romaine furent trouvés dont une jolie statuette1 gallo-romaine, en bronze (de 7,7 cm), des débris de céramique et des pièces de monnaie allant de l’époque de Jules César vers 50 avant JC. à celle de Constantin au IVe siècle après JC. Les vestiges d’une villa avec ses bains datant du IV° siècle ont été découverts et inventoriés2 au bord de la voie romaine. Elle devait être celle d’un riche gallo-romain si l’on en juge par ses proportions, ses aménagements et ses nombreuses dépendances. Sur les 2 plans, on distingue bien les différentes pièces : l’atrium et en (A) un hypocauste° à pilettes, « très bien conservé », identique à celui qui est montré sur la photo ; en (B) le conduit d’air chaud, en (C) le caldarium, en (D) le tepidarium, en (E) le vestiaire et en (F) les foyers. Le tepidarium (salle réservée à la conversation) était décoré avec luxe, avec de splendides plaques de marbre, des enduits peints à l’ocre.
Cette halte finit par constituer un vrai village. Avec la christianisation progressive des campagnes, ses habitants se sont vraisemblablement donné un lieu de culte et élevé une petite chapelle. D’après le « Capitulaire de Nevers » de 847, Béard va devenir l’une des paroisses avec un desservant relevant de la seigneurie de Druy elle-même vassale des évêques de Nevers. Pendant des siècles, des voyageurs, des commerçants, des soldats vont passer par Béard situé à une journée de marche de Nevers. Toute une population « vivra » alors de la Loire et de la route. On y trouvera certainement, outre une petite communauté de paysans, des mariniers, des pécheurs avec des auberges et des commerces. Le fleuve, resté le plus sauvage d’Europe, coulait au plus près du village et ce, jusqu’au XIXème siècle. De la préhistoire jusqu’au milieu du XIXe siècle, la navigation par bateaux à fond plat servant au transport des personnes et des marchandises fut importante. Avec l’édification de l’Église, le clocher qui se voit de très loin, tant à la descente qu’à la remontée, servait ainsi de point de repères aux navigateurs. Accessible par voie terrestre comme par voie fluviale, Béard constituait donc une étape.
Quelques dates importantes
Depuis sa construction jusqu’à aujourd’hui
C’est sur ce promontoire rocheux, que, vers 1150, une petite communauté de moines bénédictins a été envoyée par Cluny à Béard pour y établir un prieuré et y construire une église dédiée à Notre-Dame. Elle fut édifiée vraisemblablement à l’emplacement d’une petite chapelle, non loin de l’emplacement de ce qui avait dû être un lieu de culte ancestral.
La date exacte de sa construction est inconnue. Béard étant fréquentée par de nombreux « jaquets », les bâtisseurs ont donné à la nef des proportions conséquentes permettant d’accueillir un nombre important de personnes dont des pèlerins.
Béard7 se trouvait – et se trouve toujours – sur une dérivation de la via Lemovicensis, « voie » qui commençant à Vézelay en Bourgogne conduit à Saint-Jean-Pied-de-Port (environ 1 100 kilomètres) pour suivre ensuite « Camino frances« .
Le duché du Nivernais, situé entre le duché de Bourgogne et le Royaume de France a beaucoup souffert pendant la Guerre de Cent-ans.
Le Château de Druy a été l’objet de nombreuses batailles.
Béard a été très probablement incendié et pillé et son église partiellement détruite. Un petit port, avec un quai et des « perrés » soigneusement entretenus exista jusqu’en 1860. Un garde-port veillait à son organisation. Un « passeur » sur une longue barque à fond plat, assura le transport des bêtes et des personnes d’une rive à l’autre du fleuve jusqu’aux années 1960.
Vie monastique et féodalité
On ne connait pas l’évolution de ce village entre le IX° siècle et le XII° siècle. On sait seulement que d’après le « Registre-terrier de l’Évêché de Nevers » daté de 1267, il y eut un petit prieuré dépendant de celui de Lurcy-le-Bourg qui, lui, dépendait de La Charité-sur-Loire. Au plan juridique, « Anciennement, la justice haute, moyenne et basse de la seigneurie de Béard appartenait par moitié au Baron de Druy et l’autre moitié au prieur de Béard . A cette époque là, Béard se trouvait rattaché au terrier de Druy de 1377. Les barons de Druy avaient nommé un prévôt qui dépendait de son bailli pour administrer, juger et percevoir les revenus importants provenant notamment de la perception des droits de péage et de pêche au droit de Béard. Les concessions de péage stipulaient en outre « la charge d’entretenir le balisage et les berges sur toute la longueur du village ainsi que les chemins et chaussées d’accès au port ». Les droits de parcours étaient de 1/40ème de la valeur de la marchandise transportée.
Pendant toute la période médiévale, Béard eut une certaine importance stratégique pour ses protecteurs, les puissants barons de Druy, dont le château a été l’objet de nombreuses batailles. En 1356, les Anglais3 débarquèrent à Béard avant d’aller attaquer et brûler le château. Les habitants de Béard comme ceux de Tinte et de Sougy mirent peut-être le feu à leurs maisons à l’approche des Anglais et s’embarquèrent comme leurs voisins pour trouver refuge à Decize ! L’église de Béard, trop vulnérable est incendiée… En partie détruite, elle sera reconstruite (voir plus loin).
Le temporel du prieuré de Béard étant devenu vacant par le décès de son prieur, c’est le « Révérend père en Dieu, Pierre de Fontenay, docteur en théologie, évêque de Nevers » qui est prieur commanditaire de Lurcy-le-Bourg et de Béard à partir de 1463. Il percevait personnellement la moitié des revenus, 60 livres par an, sans toutefois assumer les fonctions de prêtre-desservant de Béard ! L’autre moitié allait aux seigneurs du château de Druy.
La « Communauté des Bridons »
A Béard, il y eut au XVI° siècle jusqu’à deux « Parsonneries », nom de ces communautés agricoles qui apparurent au XIV° siècle et se développèrent surtout au XVI° siècle. Cette exploitation collective et familiale des terres était régie par des règles et un code d’honneur très précis basé sur le patriarcat, la solidarité absolue et l’accueil privilégié du pauvre.
Jehan Bridon4 était « Maitre et gouverneur de la communauté des Bridons » lorsqu’il acheta la charge de Prévost de Béard en août 1575. L’endroit existe toujours au cadastre de la commune sous le nom de « champ Bridon ».
Cette communauté abritait en 1666 « 2 corps de bâtiments couverts de tuiles (ce qui était encore rare pour l’époque car signifiant une certaine aisance financière) dont l’un est composé de trois chambres à feu, un cabinet et un grenier. L’autre couvert de paille, consiste en une grange, un cellier et des étables. La cour devant laquelle est le puits avec une vigne derrière les dits bâtiments et partie du jardin, le tout correspondant à 12 boisselées ». (Un peu moins de 5000 m2 !).
Cette Communauté de paysans a existé pendant 150 à 200 ans et a fortement influencé la vie locale.
Le port de Béard5
Comme indiqué précédemment, la Loire fut de tout temps un important axe de navigation et de transport de marchandises et de personnes. Combien de gabares, de sapines, de fûtreaux sont passés par là et y ont fait escale ! Au XVII° siècle, les bateaux à fond plat étaient chargés de vins de l’Allier, de sels nantais, de plâtres de Decize, de poteries et faïences et de verreries. Les coches voituraient aussi des voyageurs. « Si vilains sur terre, seigneurs sur eau nous sommes » était la devise des mariniers de Loire. A Béard, le quai et ses abords étaient soigneusement entretenus sous forme d’un « perré » dont on peut encore voir des traces aux basses eaux d’été. C’était de ce côté, sur la rive droite du fleuve, que se trouvait le « chemin de halage6 » utilisé à la « remonte » par les bateaux tractés par des mulets ou des hommes. La navigation sur la Loire nivernaise a progressivement disparu et fut remplacée dans un premier temps par des engins à roues et à moteur. Puis le train a définitivement arrêté toute activité commerciale sur le fleuve. La ligne Nevers-Chagny (laquelle rejoint celle de Dijon-Lyon), fut ouverte en 1867. Il y eut à Béard une gare et un dépôt technique important jusqu’en 1973. Seul, reste un simple arrêt pour les voyageurs.
De Decize à Imphy, il n’y a pas de pont et la seule solution pour passer de Béard à Fleury, le village d’en face, était d’utiliser un transport par bac ou « batelet ». C’est en 1841, qu’est mis en vigueur ce service payant affermé par adjudication. Il y eut un garde-port jusqu’en 1860. Le « Passage d’eau de Béard » se faisait en 1843, sur une « toue » de 9 mètres de long permettant le transport de 10 personnes. Jusqu’à 20 personnes ou 3 chevaux pouvaient traverser sur un « passe-cheval ». En 1849, cela coûtait 10 centimes pour un passager (0,40 F en 1920) et 25 centimes pour un « cheval ou un mulet et son cavalier, valise comprise ». Il y eut un passeur jusque dans les années 1960.
statuette1 – Cette statuette se trouve au Musée Archéologique du Nivernais, à Nevers.
inventoriés2 – R de Lespinasse – Bulletin de la Société Nivernaise des lettres, Sciences et Arts, 1896. P. 171 ; cote 8°(58)
Anglais3 – La bataille de Poitiers (1356), ayant permis aux Anglais de remonter la Loire, ces derniers s’emparèrent de la puissante forteresse de Druy et de ses possessions en 1359, avant de se diriger vers Decize.
Jehan Bridon4 – Terrier de la Baronnie de Druy.
Le port de Béard5 – Source : Mme Thevenot, historienne à Béard.
Chemin de halage6 – Cet ancien « chemin de halage » subsiste plus ou moins ; il est remplacé par un chemin de petite randonnée.
Béard7 – En juin 1993, le Conseil de l’Europe a reconnu l’église de Béard comme église située sur « L’itinéraire Culturel Européen – Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ».
Patron8 – Le « patron » est celui qui exerce, « un droit de patronage ». Il peut être aussi bien un laïc qu’un clerc.
l’incendie9 – Cette « rubéfaction » supposant des températures de 300-400 °C donne une idée du traumatisme subi.
Les auteurs10 – N. J. Morellet, J. C. Barat, E. Bussière – Le Nivernois : Album historique et pittoresque, Nevers, Éditions Bussière, 1838-1840